Le monsieur court, court aussi
vite qu’il peut. Derrière lui, des branches mortes cassent avec des bruits secs,
des oiseaux s’envolent en criant, des bêtes affolées s’enfuient en courant. Les
pas de la grande dame sont si grands qu’elle n’a pas besoin de courir. Mètre
après mètre, pas après pas, elle rattrape le monsieur qui court devant elle avec
la petite fille dans les bras. Le monsieur veut la sauver, le monsieur ne veut
pas la laisser entre les longues mains de la grande dame. Il sait très bien ce
qu’elle va lui faire, comment elle va le faire. Le monsieur la veut pour elle,
il veut la petite fille pour récupérer ses pouvoirs cachés dans son crâne.
La végétation devient plus dense,
les arbres se resserrent, on dirait que la forêt ne veut pas que le monsieur
s’échappe, comme si la forêt obéissait à la grande dame. Soudain, l’homme se
prend les pieds dans une racine qui a jailli du sol et il tombe lourdement. La
petite fille lui échappe des bras, se cogne la tête à un énorme tronc, se
retrouve miraculeusement assisse sur une souche. Elle a mal à la tête, se la
frotte, mais elle ne pleure pas, comme si elle était habituée à souffrir.
Alors que le monsieur tente de se
relever, la grande dame écrase un pied sur le dos du monsieur. La petite fille sourit.
« Aide-moi ma fille »,
dit le monsieur au sol, un bras tendu vers elle.
« N’écoute pas ce vieux fou,
tu sais très bien ce qu’il veut te faire, hein ma petite chérie ?
« Non, ce n’est pas vrai, je
veux juste que tu m’aides, c’est tout Élorine ».
« Ne l’écoute pas, ton père
est un fourbe ! »
« Et ta mère est une vieille
sorcière ! »
« Ferme-la sale con, ou je
t’étripe ! »
« Devant la gamine,
bravo ! »
« Je lui dirai que c'était
un cauchemar, elle ne se souviendra de rien, crois-moi sale connard ! »
La dame lève alors son grand couteau
et l’abat dans le dos de l’homme maintenu sous son pied. La pointe de la lame
s’arrête à quelques millimètres. La grande dame force, s’énerve, abat deux
autres coups en hurlant, mais n’y arrive toujours pas. Son visage haineux se
lève vers Élorine qui a un bras tendu vers elle :
« Arrête ça tout de
suite ! » lui hurle-t-elle.
La petite fille fait non de la
tête.
« Ton père n’est qu’un sale type,
il ne sert à rien ! »
Élorine refait non de la tête.
« Tu sais ce qu’il t’aurait fait
si je ne l’avais pas rattrapé ? Il t’aurait égorgé comme une truie pour
boire ton sang et voler tes pouvoirs ! »
« Ne l’écoute pas ma fille,
ta mère est folle ! Je voulais juste t’emmener à la fête foraine, je sais
que tu adores le manège avec les chevaux vernis ! »
« Ferme-la ! » lui
hurle sa femme.
Elle se sert de son autre grand
pied pour lui écraser la tête. Le monsieur hurle de douleur.
« Si je ne le tue pas
maintenant, tu sais très bien qu’un soir ou l’autre, il viendra t’égorger dans ton
lit pour prendre tes dons ! »
« C’est vrai ? »
demande Élorine d’une voix très aiguë.
« Tous les hommes sont des
voleurs, je l’ai déjà dit mille fois ! »
« Petit frère
aussi ? »
« Ton petit frère n’est pas
encore un homme ».
« Mais il le deviendra un
jour ? »
« Nous le tuerons bien
avant. Alors, tu vas me laisser tuer ce porc, oui ou merde ? »
« D’accord, hi hi »
Élorine baisse la main, son papa
hurle. C’est alors qu’IL surgit de nulle part. IL porte un vêtement si lumineux
qu’il éblouit la petite fille et la grande dame se jette soudainement en
arrière, une main devant les yeux.
« Tu dois empêcher ta mère
de faire ça ! » dit-IL aussitôt à la petite fille.
« Qui tu es ? Un
ange ? »
« Oui, si tu veux, mais ne
laisse pas ta mère tuer ton père. Ton âme en serait à jamais salie et tu n’iras
pas au paradis. »
« Maman dit que ça n’existe
pas le paradis, l’enfer aussi d'ailleurs, qu’il n’y a que des ombres et des
lumières qui hantent la Terre après la mort. »
« Oh si, crois-moi, le
paradis existe bel et bien. »
« Tu en viens toi du paradis ? »
« Oui, si on veut. Alors
laisse ton père partir, je m’arrangerais pour qu’il ne vienne plus jamais
t’embêter. »
« C’est un homme, maman dit
qu’on ne peut pas faire confiance aux hommes. »
« Tous les hommes ne sont
pas mauvais, au contraire, il y en a beaucoup de bons. »
« Il a raison, intervient
son père, et j’en fais partie, crois-moi ma petite ».
« Comment oses-tu dire ça
alors que tu nous as abandonné à sa naissance ! »
« Hey normal, j’avais trouvé
un boulot à l’autre bout de la France, et comme la voiture est toute pourrie,
je ne pouvais pas revenir vous voir ! »
« La petite a cinq ans
espèce de con ! »
« Ah déjà ? C’est dingue
comme le temps vite mon amour. »
Le père d’Élorine se relève et
frotte ses mains pour retirer terre et feuilles mortes. En poussant un rire
cynique, la grande dame le frappe avec son couteau qui s’enfonce entre ses
omoplates. Surpris, le papa pousse une exclamation brève avant de s’écrouler,
ses grands yeux écarquillés sur sa fille, une main tendue vers elle.
IL crie et se précipite sur le papa
d’Élorine, mais des soubresauts agitent déjà son corps.
« Pourquoi ? murmure-t-IL
agenouillé près du corps agonisant, pourquoi as-tu laissé faire ça ? »
« Pour te tester. »
« Me…tester ? »
« Oui, si tu es un ange,
ressuscite mon papa ! » lui ordonne la petite fille.
« Je…je ne peux pas…ça ne
marche pas comme ça », répond-IL ému. « Ce…c’était à toi de le
sauver, car tu en avais le pouvoir ! » s’énerve-t-IL.
« Ce n’est pas moi qui l’ai
tué ! » proteste Élorine. Et puis ce n’est pas mon papa qui va me
tuer, ce ne sera jamais mon papa ! »
« Quoi ? »
bredouille-t-IL.
« Allons, cela ne concerne en rien le
monsieur en blanc qui n’est pas un ange, mais un emmerdeur ! Viens maintenant
ma petite Élorine, il est grand temps de rentrer à la maison… »